ÉTRUSQUES (art et archéologie)

ÉTRUSQUES (art et archéologie)
ÉTRUSQUES (art et archéologie)

La civilisation étrusque est la plus brillante de toutes les civilisations indigènes de l’Italie antique. Son domaine géographique par excellence est compris entre la mer Tyrrhénienne, le Tibre et l’Arno. Mais des rameaux très importants de cette civilisation ont fleuri au nord des Apennins, dans le bassin du Pô et en Romagne, ainsi qu’au sud du Latium, en Campanie et jusqu’aux vallées du Sele et du Tanagro.

Les caractères originaux de la civilisation étrusque se développent du IXe siècle au Ier siècle avant notre ère. Durant cette période, jusqu’à leur absorption dans l’État romain, les Étrusques ont noué les rapports les plus variés et les plus intenses avec les Grecs, les Latins, les peuples sabelliques et les Celtes. Principaux interlocuteurs des Grecs en Italie, ils ont également marqué d’une empreinte profonde les événements et les institutions en rapport avec le monde romain. À ce jour, la langue étrusque est toujours peu compréhensible, mais la place centrale des Étrusques dans l’histoire de l’Italie et de la Méditerranée antiques est définitivement établie.

Les études actuelles permettent de construire une perspective précise sur le développement de la civilisation étrusque. Malgré les difficultés qu’offrent encore, pour la compréhension de la langue, l’identification des formes grammaticales et l’exiguïté du vocabulaire connu, les données archéologiques commencent à trouver un ordre dans un ensemble qui forme désormais l’histoire des Étrusques sous ses différents aspects (économique, politique, artistique et culturel).

1. L’origine des Étrusques et les débuts de leur histoire

Les historiens anciens ont été les premiers à débattre de l’origine des Étrusques. Denys d’Halicarnasse est le seul à les considérer comme un peuple autochtone alors que, pour lui, les Romains sont d’origine grecque. Cette thèse a des motivations politiques complexes. L’origine orientale des Étrusques est en revanche unanimement soulignée par les plus anciens historiens grecs. Pour Hérodote, les Étrusques sont des Lydiens qui ont émigré en Italie sous la conduite de Tyrrhénos, peu avant la guerre de Troie. Hellanicos identifie les Étrusques aux Pélasges qui, après une période d’errances dans la mer Égée orientale, se seraient fixés en Italie. Antikléidès précise que les Pélasges avaient autrefois colonisé les îles de Lemnos et Imbros.

Débattue par les historiens actuels, la question des origines recueille généralement le consensus sur les points suivants:

1. Entre les XIIIe et XIe siècles avant notre ère, la Méditerranée est le théâtre d’une histoire complexe (mouvements de peuples, navigations, expéditions et destructions de royaumes), toujours mieux connue, qui fournit un contexte adéquat où replacer une éventuelle migration de Tyrrhéniens. Certaines sources signalent l’existence d’une « thalassocratie » lydienne entre 1154 et 954. Cette domination maritime dut être en partie contemporaine de la « thalassocratie » mycénienne. Cependant, si les navigations mycéniennes vers l’Occident ont laissé des témoins archéologiques en Sicile, en Grande-Grèce et sur le territoire de la future Étrurie, à Allumiere, San Giovenale et Luni sur le Mignone, il n’existe pas de preuve définitive de mouvements migratoires vers l’Occident en provenance de l’Asie Mineure.

2. Les documents du règne de Ramsès III (1197-1155) citent les Trš.w parmi les peuples de la mer qui attaquèrent le pharaon. L’identification des Trš.w avec les Tyrséniens-Tyrrhéniens des historiens grecs est linguistiquement plausible, mais reste controversée en raison de la possibilité d’homonymies ethniques. Les informations des archives égyptiennes coïncideraient cependant avec le signalement de la thalassocratie lydienne précitée.

3. L’île de Lemnos est bien impliquée dans la question de la proto-histoire linguistique des Étrusques. On y a découvert une stèle figurée dont l’inscription est rédigée dans la seule langue connue qui présente une parenté avec l’étrusque. Cette stèle, datée du VIe siècle avant J.-C., a été l’objet d’études récentes qui essaient d’en préciser la position linguistique et le contexte historique, ce dernier se rapportant probablement à l’histoire de l’Asie Mineure au moment de l’affirmation de l’Empire perse de Darius.

Malgré son importance, la question des origines reste en marge de l’étruscologie, dont l’objet principal est l’étude de la civilisation étrusque dans le cadre de la péninsule italique. Entre la fin de l’Âge du bronze et le VIIIe siècle, la formation de cette civilisation se manifeste comme un processus continu, dont le dynamisme a une matrice sociale plus encore qu’ethnique. L’exploration archéologique a permis d’individualiser des phases dites protovillanoviennes et villanoviennes dans les nécropoles et les sites habités. La succession de ces phases permet de reconstituer l’histoire suivante:

1. La fin du XIe et le Xe siècle sont marqués par une nette rupture avec la culture apenninique précédente. La stabilisation des habitats, la prévalence de l’agriculture sur l’élevage, l’adoption du rite funéraire de l’incinération, l’apparition des formes primitives de thésaurisation, en liaison avec l’établissement des communautés, témoignent des premières nouveautés technologiques et sociales.

2. La continuité entre les phases protovillanoviennes et villanoviennes, plus accentuée que partout ailleurs en Italie centrale entre la vallée du Tibre et celle du Fiora, est une manifestation ultérieure de la force naissante des communautés. Au IXe siècle, leur expansion prend l’allure d’une véritable colonisation interne en direction des aires potentiellement les plus riches. Ce phénomène a pour principaux épicentres les zones des futures cités de Véies et de Tarquinia. Son rayonnement atteint, au nord, la région padane (zone de Bologne), la Romagne (zone de Verucchio) et les Marches (zone de Fermo). Au sud, il se diffuse en Campanie (zone de Capoue), dans la région de Sorrente et de Pontecagnano (ager picentinus ), jusqu’aux vallées du Sele et du Tanagro (Capo di Fiume, Sala Consilina).

3. Dans la première moitié du VIIIe siècle, peu avant l’établissement des premiers comptoirs et colonies eubéens à Pithécuse (765 av. J.-C.) et Cumes (735 av. J.-C.), les aires où dominent les communautés villanoviennes ont affirmé leur prospérité au détriment d’autres zones de la péninsule. En même temps, la société paraît engagée dans un dynamisme social que révèle l’étude des nécropoles: la naissance d’une aristocratie, déjà patronne des mers, qui augmente son pouvoir par la multiplication des échanges avec l’Orient méditerranéen et devient le protagoniste de la fondation des cités.

L’art villanovien reflète ce dynamisme. Illustré initialement par un petit nombre de produits de l’artisanat, tels les ossuaires biconiques, il se diversifie et se transforme dans ses manifestations à mesure que s’intensifie le mouvement de différenciation sociale en cours. Notamment, le statut particulier de l’artisan-bronzier et la perfection technique de ses produits, d’abord au service de la communauté, dépendent de façon toujours plus univoque des relations avec de riches principes . La petite plastique est encore imprégnée d’une vision presque magique de la forme humaine et d’un sens aigu des rites collectifs, comme le démontrent le chariot et l’ossuaire de Bisenzio (près de Bolsena). Ces tendances coexistent bientôt avec les effets d’une véritable révolution dans le décor. En effet, les systèmes géométriques villanoviens sont abandonnés pour les canons du géométrique grec. Ce changement est déterminé par l’installation en Étrurie d’artisans eubéens, originaires de Cumes, qui implantent des ateliers sur les territoires de Véies, Tarquinia et Vulci, introduisant la technologie de la céramique tournée à pâte claire et dépurée.

2. Les « lucumones »: fondation et organisation des cités (750 env.-600 env. av. J.-C.)

La colonisation villanovienne des territoires les plus fertiles et riches en métaux n’advint pas de façon pacifique. L’affirmation politique d’un nombre restreint d’individus fit progressivement éclater des structures initialement égalitaires et provoqua l’assujettissement de certaines communautés: d’où l’origine vraisemblable des « pénestes » étrusques qui travaillent la terre pour leurs maîtres. En tout cas, l’étude du mobilier funéraire, notamment à Tarquinia et à Véies (Quattro Fontanile), permet de retracer les étapes de la naissance d’une société caractérisée par une pluralité de principes , de reguli , appelés aussi selon les sources latines lucumones (= rois ; de l’étrusque reconstitué lauchme ). L’autorité de ces lucumones s’exerce au moyen des liens gentilices de la fides . La gens n’est pas une famille classique mais un groupe en quelque sorte d’inféodés qui comprend une foule de « serviteurs » et de pauvres (pénestes, humiliores , etc.) dont la condition subordonnée ressemble à un demi-esclavage. Elle comprend aussi des hommes libres qui « prêtent service » sous le nom du princeps gentis . Une telle institution sociale est entérinée dans le courant du VIIe siècle par la formation du nomen gentilicium , sans équivalent dans le monde grec, mais qui apparaît également dans le monde latin. Elle présuppose en outre une nouvelle organisation de la propriété, fixée par des bornes, les fameuses « limites de la terre d’Étrurie », dont la prophétie de Végoia, connue par des textes latins tardifs, rappelle la création (cf. infra ). Ainsi, la constitution des aristocraties villanoviennes présuppose vraisemblablement dès l’origine une dichotomie sociale plus radicale qu’à Rome et dans le Latium où l’institution parallèle de la clientèle est pourtant connue. Mais cette forte caractérisation du groupe dominant explique aussi la création précoce de grandes cités. Cette dernière advient par synœcisme de villages dans les cas les mieux connus, Tarquinia et Véies. Le processus admet les variantes que suggèrent la topographie et l’histoire particulière de chaque site. Le mouvement d’urbanisation, général, n’a cependant pas partout la même force. L’Étrurie septentrionale, les régions padane et campanienne accusent certains retards ou certains traits spécifiques dans la conception des cités. Souvent, en outre, ces zones présentent une occupation plus diffuse du territoire par de petites unités urbaines (oppida et castella ) ou par des résidences gentilices isolées, comme, semble-t-il, dans le cas de Murlo.

La constitution de fortes aristocraties explique que les échanges, notamment avec les Grecs, se soient toujours accomplis sur un plan de parité politique, quelle que soit la supériorité technologique et culturelle de l’interlocuteur, et que l’Étrurie ne soit jamais devenue terre de colonisation étrangère. L’aristocratie, en possession des précieux métaux des collines métallifères et de l’île d’Elbe, est le protagoniste des échanges et contrôle les passages terrestres et maritimes. La thalassocratie et la piraterie étrusques, citées par les historiens grecs, existent dès l’origine.

Excluant toute hégémonie étrangère, la structure des premiers contacts commerciaux ne comprend pas moins des formes de dépendance culturelle. Mais elle a aussi pour conséquence une recherche active de modèles et de technologies externes qui sont les bienvenus dans la mesure où ils servent à augmenter le prestige et le pouvoir de l’aristocratie. Le VIIe siècle, qui se caractérise par l’introduction de l’écriture (dont le modèle est emprunté à Cumes), de la culture de la vigne (empruntée également à la Campanie) et de l’olivier, est marqué par un flux croissant d’échanges, principalement avec l’Orient. Pour cette raison, on a donné le nom d’orientalisant à l’art de cette période. Mais, en réalité, influences grecques et orientales se partagent cette époque qui doit être considérée comme le « siècle d’or » des principes , le siècle où triomphe leur mentalité, ce goût du luxe (tryphè ) tant décrié par les auteurs grecs. L’architecture des villes orientalisantes de cette époque est pratiquement inconnue, mais les grands tumulus de Cerveteri et de Tarquinia, de Vetulonia et de Véies, de la vallée de l’Arno et de l’Étrurie septentrionale reflètent de façon symbolique les cités des vivants. Les sources d’inspiration de ces architectures sont multiples. Des éléments rappellent la Sardaigne (cercles de pierre de Vetulonia) ou Chypre (moulures, voûtes et dromoi – couloirs d’accès – des tumulus de Cerveteri et de Tarquinia). La tombe, reflet de la maison et expression du luxe ostentatoire qui caractérise les principes , se remplit d’objets précieux importés du plus lointain Orient (chaudrons de l’Urartu, faïences d’Égypte, ivoires et orfèvreries de Phénicie et de Chypre). Les principes sont bientôt à la tête de la production d’objets précieux également en Étrurie. Ils contrôlent la « voie de l’ivoire » et en redistribuent les produits jusque dans la vallée de l’Arno, à Artimino et Quinto Fiorentino. Ils contrôlent aussi la « voie de l’ambre » en provenance de la Baltique, dont l’un des centres principaux de travail et de redistribution se trouvait à Verucchio (Romagne). On ne compte pas les grandes tombes célèbres de cette période: ainsi la tombe « de Bocchoris » à Tarquinia, la Regolini-Galassi à Cerveteri, celle de Monte Michele à Véies, celle du Licteur à Vetulonia, celle « des Plika face="EU Updot" 蘆nas » à Chiusi, les tombes princières de Pontecagnano, les sépulcres Aureli de Bologne, les tombes de Verucchio, etc. Ce déploiement de luxe sert à marquer la puissance gentilice jusque dans les rites funéraires. Ces objets introduisent des modèles idéologiques et culturels propres à l’Orient ou à l’aristocratie grecque. Il en est ainsi de l’usage du vin et de la présentation ostentatoire de services à boire complets à côté du corps (qui n’est plus maintenant incinéré). En exaltant la valeur sociale du banquet, les Étrusques imitent l’aristocratie grecque de Cumes. D’autres usages (thrônosis ) sont empruntés au monde des palais orientaux; en témoignent les trônes taillés dans la pierre, préparés pour recevoir les images des ancêtres (imagines maiorum ) dans la tombe des « cinq sièges » de Cerveteri.

Un autre fait culturel revêt une importance particulière, la diffusion en Étrurie des poèmes épiques grecs. Les artisans installés dans les cités contribuèrent sûrement à les faire connaître puisqu’on note les scènes de l’Odyssée sur le cratère signé du Grec Aristonothos, installé à Cerveteri, ou encore sur la situle en ivoire des Plika face="EU Updot" 蘆nas à Chiusi. L’introduction de l’imagerie des poèmes homériques marque le début d’un dynamisme artistique de grande importance, déterminant pour expliquer l’évolution de l’art étrusque qui passe d’un style purement décoratif à un style narratif. Si l’aristocratie investit l’essentiel de son prestige dans la sphère privée, elle exalte aussi sa puissance dans l’organisation des cités. La disciplina , science se rapportant à l’action humaine dans ses rapports avec l’existence des dieux, est au centre des règles qui fixent la naissance, la vie et le fonctionnement de la cité. Comme le droit augural romain, la disciplina dessine les limites de la cité (pomerium ) et « libère » les espaces destinés aux templa des principales divinités. L’ensemble de cette science est rédigé sous forme de livres sacrés (libri fatales , libri rituales , etc.) qui traitent des destins et de l’organisation des cités, de leurs limites, de leurs principaux sanctuaires et des principes de division du corps civique.

Les découvertes archéologiques faites au cours des années 1970-1980 ont fourni des données concrètes qui permettent de retracer la genèse de certaines institutions. Ainsi, à Tarquinia, les fouilles de la cité antique permettent de suivre le développement d’un lieu de culte depuis le IXe siècle au moins. Ce lieu est vraisemblablement en rapport avec le siège de l’une des curies de la cité. À Roselle, la succession d’édifices également sièges d’un culte dans une zone voisine d’un espace public fait penser à la succession de différentes regiae (demeures royales), en rapport avec l’évolution de l’expression du pouvoir politique. La mention de zilath (praetores ) sur les cippes de Rubiera (près de Reggio Emilia) fait pencher pour l’adoption relativement précoce (dès la fin du VIIe s.) de magistratures électives. Vraisemblablement, les autels monumentaux de Via Fondazza à Bologne confirment l’existence de ces magistratures. De même, quoique nous ayons peu de renseignements sur la genèse des différents cultes à l’intérieur de la cité, les découvertes d’Acquarossa, notamment de l’édifice « G », donnent l’idée de la création d’un temple, forme religieuse et institutionnelle qui semble surgir en opposition et en substitution au monopole politique et religieux des demeures et palais aristocratiques du site.

Ainsi l’institution gentilice qui avait été responsable de la fondation des cités devait trouver ensuite, dans ces dernières, certains principes de diversification et de limitation de sa puissance.

Dans une période aussi riche en nouveautés, le fait qui revêt la plus haute signification pour l’histoire de l’art est l’arrivée en Étrurie d’équipes grecques de charpentiers et de coroplathes (artisans travaillant l’argile) qui, vers le milieu du VIIe siècle, introduisent l’usage des toits charpentés, recouverts et décorés de tuiles. De telles équipes, dont Pline l’Ancien conserve le souvenir dans son évocation paradigmatique des trois artisans Eucheir (Bonne Main), Eugrammos (Beau Trait) et Diopos (Ingénieur), transmettent leur savoir aux artisans locaux. Les toits des maisons et des palais d’Acquarossa (à partir de 630-620), ceux du premier palais de Murlo (antérieur à 600) témoignent de l’emploi précoce de cette technique, destinée à connaître un magnifique développement.

La période orientalisante se caractérise encore par la naissance d’une culture figurative locale qui, d’abord sollicitée par des modèles de provenances variées, grecque et orientale, devient, à partir du dernier tiers du VIIe siècle, presque uniquement tributaire de modèles grecs. Cette tendance décisive se manifeste en même temps que le développement du commerce corinthien en Occident, par voie directe ou via Syracuse (colonie de Corinthe). Elle s’accentue avec le fonctionnement des réseaux commerciaux gréco-orientaux (samiens, milésiens, phocéens, etc.) qui se manifestent dès 667, date de la fondation de l’emporium de Naucratis en Égypte.

Aussi les premiers ateliers de céramique de bucchero (dont la couleur noire est obtenue en atmosphère réductrice) inventent-ils des formes et des décors finement incisés, d’abord inspirés des formes et décors orientaux (chasses, théories animales, etc.). La petite plastique mise en œuvre pour ces vases rappelle aussi, initialement, la tradition villanovienne, mais s’inspire bientôt de motifs plus neufs: divinités féminines de type oriental, potnia thèrôn (Maîtresse des fauves), etc. Ces motifs sont exécutés avec une grande habileté sur les objets de luxe (orfèvreries à filigrane, ivoires, etc.) et se substituent au décor géométrique. Celui-ci connaît son expression la plus achevée avec les fresques de la tombe « des Canards » à Véies (vers 650). Les commerces corinthiens et gréco-orientaux entraînent, à partir de 630 environ, l’installation de nouveaux artisans grecs qui fondent des ateliers, notamment à Vulci. Ces ateliers donnent naissance au style local étrusco-corinthien (peintre de la Sphinge Barbue, des Rosoni, etc.) ou à des styles proches du répertoire gréco-oriental (peintre des Hirondelles). Ils jouent un rôle culturel important, stimulent l’invention de nouvelles formes et de nouveaux décors. Les principes de la peinture corinthienne trouvent une expression achevée dans les fresques de la tombe Campana de Véies (fin du VIIe s.) aujourd’hui presque totalement disparues.

Le dernier tiers du VIIe siècle voit enfin la naissance de la sculpture en pierre locale qui assimile plusieurs courants de l’art grec (courants argien, péloponnésien, etc.) sans abandonner d’ultimes réminiscences syriennes ou phéniciennes: ainsi les statues funéraires du tumulus de la Pietrera à Vetulonia et le singulier xoanon (pierre et bronze), récemment reconstitué de la tombe « d’Isis » de Vulci (fin VIIe s.-début VIe s.).

3. La cité archaïque (600 env.-480 env.)

À partir de la fin du VIIe siècle, l’histoire des cités connaît de nouveaux développements. Le dynamisme social engendré par les échanges avec le monde grec provoque la création de plusieurs niveaux de richesses. En outre, la nécessité d’organiser le corps social, notamment dans le domaine militaire, a pour conséquence la formation de corps politiques plus articulés. Il en résulte un monde plus ouvert et plus varié dans ses composantes.

L’étude des inscriptions dans les nécropoles et les sanctuaires permet de saisir des formes de mobilité, d’agrégation et d’intégration sociales qui ne paraissent plus dépendre uniquement de l’institution gentilice et des liens de la fides . Les cités accueillent un certain nombre d’étrangers – Grecs, Latins et Italiques, Celtes même –, comme à Volsinii, et leur permettent de prendre un nomen gentilicium , de devenir ainsi, semble-t-il, citoyens de plein droit et non métèques. Ces découvertes confirment l’histoire de Démaratos, rapportée par les textes: ce noble Corinthien exilé qui put s’installer à Tarquinia et y prendre femme dans l’aristocratie. La suite de l’histoire est encore plus familière. L’un des fils de Démaratos s’installera à Rome, y devenant le premier Tarquin (l’Ancien). Mais la mobilité sociale revêt encore d’autres aspects qui paraissent relever du droit d’hospitium et de formes d’asylie (garantie de la personne) dans les sanctuaires. La plupart des relations sociales paraissent ainsi placées sous la médiation de la divinité, c’est-à-dire d’une institution publique qui est au-dessus de la gens .

L’étude de la forme et de la disposition des tombes dans les nécropoles de Tarquinia, Cerveteri, Volsinii (les mieux connues) démontre que la société, vers le milieu du VIe siècle, s’inspire des modèles isonomiques (fondés sur l’égalité devant la loi) des cités grecques. Le précédent d’une telle orientation est constitué dès le VIIe siècle par l’adoption de la tactique hoplitique qui d’abord coexiste puis se substitue aux idéaux et aux principes de la guerre gentilice. La tactique hoplitique en effet n’a pas seulement une portée militaire: elle tend aussi à promouvoir l’égalité des fantassins sur le front de la phalange. Au même moment, il est vrai, le développement de la cavalerie est susceptible de refléter une affirmation aristocratique selon un modèle connu en Grèce et en Grande-Grèce.

Cependant, vers le milieu du VIe siècle, l’ordre politique interne se caractérise par une sorte d’équilibre entre l’affirmation hégémonique des principes et la redistribution économique et militaire des forces de la cité sur plusieurs niveaux. C’est le moment où Rome adopte la constitution censitaire de Servius Tullius. Celle-ci enregistre précisément les niveaux de richesse comme mesures des obligations militaires. C’est le moment aussi où d’autres formes politiques, de caractère fédéral, se développent. L’organisation du nomen latinum répond sûrement à celle du nomen etruscum (ligue des douze peuples étrusques), dont le sanctuaire fédéral se fixera au fanum Voltumnae (près de Volsinii).

Ces mutations bouleversent les rapports cités-campagnes. En Étrurie méridionale disparaissent certaines formes dépassées du pouvoir gentilice, liées à des habitats secondaires. C’est l’enseignement que l’on tire de l’histoire du site d’Acquarossa près de Viterbe ou de la destruction du palais de Murlo en Toscane, à la suite d’une expédition conduite vraisemblablement par la cité de Chiusi (vers 530-520). Le palais comme expression indissoluble du culte gentilice et de la vénération des divinités utiles à la communauté parce que utiles à la gens disparaît. À l’opposé se développent la cité et des formes d’occupation du territoire qui rappellent, comme à Véies, les systèmes modulaires employés dans la chôra (le territoire cultivable) des colonies grecques. De même éclate le caractère nouveau des entreprises de colonisation vers la fin du VIe siècle et le début du Ve siècle. Les cas de Marzabotto ou de Capoue (seconde colonisation de cette cité) enseignent que le peuplement ne se réalise pas par de simples déplacements de gentes , comme précédemment, mais selon un plan fixé par les métropoles.

La période entre 600 et 470 environ représente une sorte de siècle d’or des importations de vases grecs en Étrurie. Ce phénomène ne constitue qu’un aspect d’une réalité complexe dans ses implications technologiques, économiques et idéologiques.

L’organisation du commerce, aussi, se modifie, et le princeps n’a plus l’exclusivité de l’échange. Le commerce devient du ressort de la cité par le système de l’emporium , connu en Étrurie à partir des années 560-550. L’emporium est une concession de la cité aux étrangers qui obtiennent droit de commerce contre le dépôt de dîmes dans les sanctuaires dépendant de cette institution. Ce système de dîmes s’appuie souvent sur des formes de prostitution sacrée. Ainsi, des preuves archéologiques d’une telle pratique ont été apportées pour Gravisca, le port de Tarquinia, et pour celui de Cerveteri, Pyrgi, où elle était déjà connue par les textes. Parmi les commerçants les plus célèbres ayant fréquenté le complexe de Gravisca, on relève le nom du Lydien Pactyes (peut-être le trésorier de Crésus) et de l’Éginète Sostratos (sûrement le célèbre marchand cité par Hérodote). Le système de l’emporium (qui fonctionna aussi à Rome, au forum Boarium) dut exister dans la plupart des cités côtières d’Étrurie méridionale, et notamment à Vulci. Plus au nord, Rusellae, débouché maritime de Clusium, Populonia et Pise, ports en relation avec Volterra, durent avoir de semblables institutions.

Les emporia permirent à l’Étrurie de s’insérer plus étroitement et plus efficacement au centre des réseaux commerciaux grecs. À partir de ce moment, les importations reflètent non seulement les hégémonies commerciales en termes de production, mais l’importance de l’intermédiation où les Grecs d’Asie deviennent des maîtres. Les importations corinthiennes cessent pratiquement, sauf sur le versant adriatique, vers le milieu du VIe siècle. Les produits d’Asie Mineure les ont supplantées, ainsi les fameuses coupes ioniennes, ou les amphores orientales, trouvées nombreuses à Gravisca, et qui devaient transporter vin et huile. Á partir de 560, les importations de céramique attique ne cessent de croître. Les agents du commerce athénien sont également parfois gréco-orientaux, notamment phocéens et, vers la fin du VIe siècle, les Éginètes jouent un rôle analogue.

Le volume de ces importations cache souvent la réalité des exportations étrusques: métaux, peaux, tissus, canthares de bucchero, bronzes précieux mais aussi vin et huile. Ces deux derniers produits, transportés dans des amphores étrusques, atteignent en particulier les bouches du Rhône et le Languedoc, à partir de Vulci. La bataille d’Aleria en 545, qui met aux prises Étrusques de Cerveteri et Carthaginois contre Phocéens, donne une idée de l’intensité des rivalités commerciales dans cette partie de la Méditerranée. L’acuité de ces rivalités maritimes peut avoir contribué à orienter une partie du commerce étrusque vers l’intérieur, notamment vers le monde sabellique (Abruzzes, Picenum, Samnium) et la Campanie. Elle a aussi favorisé l’organisation par cité et pour le marché de chaque cité de certains produits comme la céramique de bucchero qui connaît de brillants développements dans le courant du VIe siècle (bucchero a cilindretto [orné de motifs estampillés au moyen d’un petit cylindre] de Chiusi et Orvieto ou bucchero pesante [à parois épaisses] de Chiusi).

Le cadre complexe des échanges et les tendances nouvelles de la société éclairent l’histoire de l’art et de l’artisanat archaïques. La création d’un domaine public, bien caractérisé par les temples et les édifices d’utilité commune, donne une impulsion prodigieuse à l’architecture et à la coroplathie. Les formes du temple « toscan », décrites par Vitruve, sont inventées dans le premier quart du VIe siècle, comme l’enseigne la fondation du temple capitolin par Tarquin l’Ancien. Ces formes coexistent avec des versions imitées « périptères », de temples grecs, surtout employées dans la seconde moitié du VIe siècle (Pyrgi B) ou avec de plus modestes sacella , comme l’édifice de Piazza d’Armi à Véies. En même temps, des équipes de coroplathes créent des ateliers dans chaque cité. Célèbre est celui de Vulca à Véies. Ces artisans adoptent des solutions techniques ou stylistiques influencées par la Sicile, la Campanie, mais aussi l’Asie Mineure grecque, notamment dans la conception des frises. Ces influences ne s’expliqueraient pas sans la présence d’artisans grecs, qui constitue un témoignage ultérieur de la mobilité sociale de l’époque. L’étude des moules permet dans certains cas de former l’hypothèse d’équipes itinérantes. Ce phénomène rend compte en particulier de l’adoption, vers le milieu du VIe siècle, de systèmes décoratifs analogues d’une cité à l’autre et tous inspirés des canons d’un style ionien international. Les thèmes des frises, en rapport avec les cultes, s’éclairent aussi à la lumière des intérêts communautaires: cavaliers, fantassins, assemblées divines qui représentent la cité dans sa totalité. Par leurs thèmes, les prodigieuses terres cuites du palais de Murlo appartiennent à l’époque révolue, par rapport à la nouvelle affirmation de la communauté urbaine, des « petits rois ». Elles exaltent en effet les ancêtres divinisés (les fameux acrotères à large « chapeau ») et le monde religieux qui s’exprimait dans les manifestations que nous avons décrites de la « tryphè ». Le développement de la coroplathie atteint son apogée entre la fin du VIe siècle et le premier quart du Ve siècle: on citera par exemple les décors du temple de Portonaccio à Véies et ceux des deux temples de Pyrgi. À Véies était traité le thème d’Apollon, Héraclès et la biche Cérynite; à Pyrgi (temple A), la plaque frontonale représentant un épisode des Sept contre Thèbes (Tydeus, Mélanippe, Athèna, Zeus...) est le chef-d’œuvre du début du Ve siècle. À Cerveteri, il faut signaler encore l’existence d’un singulier sanctuaire, récemment identifié: il s’agit du lieu où se déroulaient les jeux équestres en l’honneur des prisonniers phocéens lapidés après la bataille d’Aleria. L’édifice se présente comme un palais à cour, et une partie au moins de sa décoration devait se rapporter au mythe d’Héraclès et Busiris.

La maîtrise dans l’art de la coroplathie est liée à de nouvelles conquêtes dans la technique du bronze. La fusion à cire perdue, témoignée maintenant aussi par l’exploration archéologique d’ateliers de bronziers (notamment à Marzabotto), est employée régulièrement pour les statuettes votives et pour tous les produits en bronze qui feront la renommée de l’Étrurie, particulièrement auprès des Grecs; trépieds, vases de luxe qui contribuent à la fortune des ateliers de Vulci. Malheureusement, les grands bronzes produits à cette époque sont pratiquement inconnus. Vulci mais aussi d’autres centres comme Arezzo ou Cerveteri durent toutefois avoir une production importante.

La terre cuite et le bronze deviennent donc les deux matières essentielles des sculpteurs. La sculpture funéraire en pierre, qui servait au déploiement des fastes gentilices, connaît cependant une postérité, quoique dans des limites relativement étroites, à Vulci. En Étrurie septentrionale, elle fleurit sous forme de stèles qui suivent, à partir de 560-550, des schémas ioniens. Mais la véritable nouveauté dans ce domaine est constituée, entre 520 et 480 environ, par les cippes et urnes en « pierre fétide » de Chiusi. La standardisation des formes et l’homogénéité des thèmes, traités dans un élégant style graphique d’inspiration ionienne, reflètent bien l’idéal isonomique des destinataires de ces monuments, citoyens de la cité de Porsenna.

Le développement le plus extraordinaire est celui de la peinture. La genèse de cet art est complexe. Elle relève d’abord de la coroplathie. En effet, la peinture est souvent appliquée sur des tuiles ou sur des panneaux revêtus d’enduits (leukômata ) destinés à orner des temples et des demeures privées. Corinthe se situe au début de cette tradition et l’on peut songer au peintre Ecphantos qui suivit Démaratos en Étrurie. Cependant, Cerveteri, avec les plaques Campana et Boccanera, Véies, avec les tuiles du temple de Portonaccio, fournissent les meilleurs exemples de cet art. À Rome, aussi, les Siciliens Damophilos et Gorgasos, architectes et décorateurs du temple de Cérès, Liber et Libera (493 av. J.-C.) adoptent cette forme d’art.

Mais il ne faut pas oublier que la peinture est très proche de la céramographie, comme l’enseigne l’exemple d’Exékias, peintre de vases et auteur de pinakes (tableaux). Aussi, l’installation en Étrurie de nouveaux peintres de vases d’origine grecque fut le prélude favorable à l’application monumentale de certains motifs et au développement de la peinture à fresque. Parmi les céramographes installés en Étrurie, certains sont d’origine ionienne comme le peintre des amphores « pontiques » de Vulci ou le peintre des Hydries de Cerveteri. Or les premiers exemples de la peinture tarquinienne du VIe siècle reflètent les échanges iconographiques et stylistiques entre les différentes catégories d’artisans. L’artiste de la tombe des Taureaux (540) a des points communs avec le peintre des amphores pontiques; celui de la tombe des Augures nous reporte à l’Asie Mineure (Gordion, la Phrygie, Milet); celui de la tombe de la Chasse et la Pêche reflète également le milieu de l’emporium (probablement Milet); celui de la tombe du Baron paraît lié à Clazomènes. Toutes ces fresques sont le produit d’ateliers où travaillent les artisans grecs qui, à leur tour, forment des artistes locaux. Cette organisation du travail ne change pas au Ve siècle quand les modèles les plus courants sont attiques (tombes du Triclinium, de la Scrofa Nera, etc.).

Tous ces artistes (locaux ou grecs implantés) traitent cependant des thèmes originaux (danses, jeux, banquets funéraires) dont l’étude minutieuse est importante pour fixer l’évolution des mentalités. Les fresques de Tarquinia constituent l’une des meilleures expressions de la société à la fois aristocratique et ouverte, « en prise sur l’emporium » qui caractérise la cité. Comme les fresques des tombes de Chiusi, moins nombreuses, elles représentent une des expressions les plus achevées de la cité étrusque archaïque.

4. La crise du monde archaïque et l’Étrurie classique (470 env.-350 env.)

À la fin du VIe siècle, la situation politique et sociale de la plupart des cités étrusques pouvait donner lieu à un grand nombre de développements. Le régime constitutionnel pouvait évoluer soit vers des formes de démocratie, soit, dans le cadre de l’aristocratie, vers une organisation de type oligarchique. Souvent, les cités avaient connu des formes de tyrannie au sens grec du terme, régimes qui consacraient l’émergence d’une famille et s’appuyaient en partie sur le démos (les nouvelles couches sociales, artisans, commerçants, intermédiaires de toutes sortes, que l’ouverture de la cité avait favorisées). Ainsi les royautés de Servius Tullius et de Tarquin le Superbe à Rome, celle de Thefarie Velianas , que les tablettes d’or en phénicien et en étrusque de Pyrgi font connaître. Tous ces rois (voir Servius et la Fortune; Thefarie Velianas et l’Uni-Astartè du temple B) tiraient leur charisme de leurs rapports personnels avec une divinité de type oriental.

Les événements de la fin du VIe et du premier quart du Ve siècle eurent des répercussions assez profondes sur les situations acquises, spécialement en Étrurie méridionale. La conquête perse de l’Égypte et de l’Orient (Samos, Ionie, etc.) bouleverse les bases traditionnelles du commerce des emporia . En Occident, la destruction de Sybaris (510) perturbe d’antiques rapports péninsulaires. Au moment où Syracuse affirme son hégémonie sur les détroits, Athènes arrête l’invasion perse à Marathon (490) et Salamine (480), mais le jeu des puissances ne tourne pas à l’avantage de l’Étrurie. La défaite des Carthaginois, alliés des Étrusques, à Himère, en 480, est le prélude du grave revers que les tyrans de Syracuse infligeront aux Étrusques dans les eaux de Cumes en 474. Les casques du butin, consacrés à Delphes et à Olympie, ont été découverts lors des fouilles de ces sanctuaires.

Freinée dans ses ambitions maritimes, l’Étrurie se heurte aussi, à l’intérieur de la péninsule, à un certain nombre de difficultés. C’est d’abord l’expansion des peuples sabelliques (Volsques, Sabins, Picéniens, Samnites, Ombriens) affamés de nouvelles terres. Ces peuples atteignent alors un degré d’organisation politique qui rend impossible toute conquête ou toute exploitation économique en règle (par des formes de dépendance agraire ou un développement de l’échange inégal) de la part de leurs voisins étrusques. Dans la zone padane, les incursions celtiques, incessantes depuis le VIe siècle, ont imposé des mesures de renforcement de la population et une seconde colonisation guidée par les cités septentrionales (Clusium, Volsinii, Volterra): ainsi surgissent ou renaissent sur des plans orthogonaux Marzabotto, Mantoue et la cité portuaire de Spina, construite sur pilotis. Les incursions celtiques seront endiguées, mais certaines formes d’installation de communautés celtes ne seront pas pour autant dédaignées. L’expansion samnite motive également la seconde colonisation étrusque en Campanie, notamment à Capoue. Là aussi des formes de compromis seront inévitables, ainsi l’association des Samnites à l’usufruit des champs et des institutions urbaines (societas urbis agrorumque ). Mais, en 425, les Samnites, plus nombreux et plus forts que leurs anciens maîtres, prennent Capoue.

Tous ces événements ont de lourdes répercussions aussi bien sur le volume des exportations de l’Étrurie que sur la politique interne des cités. Les emporia , en particulier celui de Tarquinia, ne s’en relèvent pas. Le Nord, au contraire, résiste mieux et connaît même une authentique prospérité économique dans la région padane, principal débouché des commerces d’Athènes dans l’Adriatique.

Entre 470 et 390 environ, l’Étrurie connaît ainsi une crise profonde et multiforme, tempérée par un certain nombre d’exceptions et de correctifs.

Après 470, la construction publique semble subir une nette contraction. Les tombes de cette période, soit par leur nombre, soit par les détails du rituel (notamment à Véies et Cerveteri), montrent, pour la première fois dans l’histoire étrusque, des signes de pauvreté. Cette pauvreté n’est pas forcément subie. Elle est aussi le fruit d’un « choix d’austérité » qui illustre les contradictions internes de la société et la recherche de modèles éthiques et politiques nouveaux.

Ces nouveaux modèles reflètent des idéaux oligarchiques. Comme à Rome s’instaure la réprobation pour le luxe et l’étalage des richesses. Comme à Rome, une farouche horreur de l’aspiration à la royauté est présente dans les préceptes des haruspices. Comme à Rome paraît se constituer un patriciat restreint. La société se ferme et certains conflits assimilables aux luttes de la plèbe et du patriciat se profilent. Véies, où se développe le culte plébéien de Vei-Cérès (sanctuaire de Campetti), présente à cet égard une analogie avec le cas romain. Dans l’ensemble, l’évolution politique conduit à l’affirmation d’un système de magistratures, tant fédérales que locales, favorable au monopole de quelques familles puissantes.

L’art de cette période est aussi à l’enseigne de la crise et des mutations. On enregistre à la fois une contraction générale de la production, des signes d’évolution dans le statut des artisans et, au niveau des mentalités, l’indice d’un rapport plus médité et plus sélectif avec l’art grec.

L’activité des céramographes, qui s’était développée dans le cadre des emporia , se ralentit. Le statut social de ces artisans semble devenir plus précaire. Certaines formes d’esclavage paraissent même exister dans le monde artisanal. Au moment où se réduisent les importations attiques en Étrurie méridionale, de rares céramographes, qui peignent selon la technique à figures rouges, comme le métèque (?) Arnth Praxias , sont encore connus. À l’appauvrissement de ce secteur de l’artisanat répond celui de la peinture funéraire à fresque, comme le démontre l’histoire de la peinture tarquinienne après 460. On ne connaît alors que de rares exemples de fresques de qualité (tombes de la Pucelle, du Guerrier, etc.) et on a l’impression qu’une foule de modestes décorateurs succède aux grands maîtres. Les coroplathes aussi ne comptent apparemment plus de personnalités hors pair. Cependant, à la commande d’œuvres publiques se substitue celle d’ex-voto privés. Ceux de Véies et de Falerii démontrent en particulier la continuité de l’apprentissage des formes grecques de style sévère et classique. Ainsi les ex-voto du sanctuaire de Portonaccio (tête Malavolta, etc.) renvoient des échos de l’art de Polyclète. La sculpture sur pierre accuse aussi le moment de la crise: ainsi, on ne sculpte plus de bas-reliefs à Chiusi après 480. Mais la sculpture donne lieu aussi à de complexes réélaborations provinciales de l’imagerie de l’outre-tombe: ainsi les stèles de Bologne durant tout le Ve siècle ou les statues trônantes de Chiusi, entre 470 et 430 environ. D’autres productions, comme celle des bronzes de Vulci, résistent mieux et sont exportées vers l’Étrurie padane. Les bronziers de Volsinii accéderont aussi à ce marché vers la fin du Ve siècle. Malgré les réductions parfois drastiques des importations de céramique attique dans l’Étrurie tyrrhénienne, le flux ne cesse pas totalement. En outre, à l’importation souvent indiscriminée des vases, lors de la période précédente, succède un choix souvent très conscient non seulement des formes, mais de l’iconographie (scène mythologique, etc.) du vase. Un système de correspondances subtiles paraît s’établir ainsi entre le monde héroïque représenté sur les vases et les nouvelles valeurs éthiques de l’oligarchie. La présence ininterrompue d’Athènes, phénomène culturel d’abord diffus, finit donc par susciter de nouvelles osmoses entre culture grecque et culture étrusque. Elle prépare le terrain pour une affirmation originale de la cité étrusque à partir de la fin du Ve siècle.

L’une des manifestations politiques de ce réveil coïncide avec l’histoire de la famille Spurinna de Tarquinia, connue par de tardifs elogia , inscriptions honorifiques rédigées en latin. La reconstruction la plus plausible de cette histoire permet de penser que les Spurinna guidèrent en Sicile les contingents étrusques qui aidèrent Athènes lors du siège malheureux de Syracuse en 413. Or la tombe de cette grande famille a été identifiée. Il s’agit de la tombe de l’Orco qui se développe sur plusieurs générations (Orco I: 400-380; Orco II: 360-350) et constitue un témoignage de premier ordre sur la mentalité aristocratique. Les valeurs gentilices y sont en effet réaffirmées, mais à travers une série de filtres, comme la philosophie pythagoricienne (référence explicite à cette philosophie dans la scène de Tirésias aux Enfers: Orco II), et, en général, les doctrines du fonctionnement idéal de la polis . La tombe des Boucliers (ou des Velcha ), à Tarquinia (360), à Volsinii, les tombes Golini (370-360), à Vulci enfin, la tombe François (350-340) présentent ainsi des programmes décoratifs riches de sens politique et soucieux d’affirmer la nouvelle image publique de l’aristocratie.

Après des années d’immobilisme, l’initiative des groupes dirigeants est à l’origine de la prospérité renaissante de l’Étrurie méridionale. Elle est aussi une réponse aux deux expériences traumatisantes qui succèdent à la perte de la Campanie (425), la prise de Véies (396), immédiatement suivie de la colonisation romaine sur l’ancien territoire de la cité, et l’invasion celtique (392-391), qui bouleverse surtout l’Étrurie padane et interne. Les cités se rendent compte de leur isolement au centre de territoires souvent immenses. Aussi l’oligarchie prend-elle la tête d’un mouvement de reprise en main des campagnes, qui ressemble à une véritable colonisation interne. Volsinii, Vulci et plus encore Tarquinia réactivent ou fondent ex-novo des centres secondaires (par exemple Musarna). Cerveteri patronne un certain nombre d’entreprises maritimes, fonde ou réactive des colonies, notamment en Sardaigne et en Corse (Aleria). Déjà se profile dans ce dernier cas un accord avec Rome. La re-colonisation interne de l’Étrurie méridionale revêt cependant un double aspect, de précaution contre l’expansion de Rome et d’ouverture sociale. En effet, l’affirmation des centres secondaires sert à la promotion politique et économique d’un certain nombre de familles nouvelles.

Ces deux aspects, d’une affirmation politique qui peut aller jusqu’au conflit ouvert avec Rome (tel est le cas de Tarquinia et de ses alliés étrusques et falisques lors de la guerre de 358-351) et d’une recomposition des forces sociales dans le sens d’une ouverture de la polis , aident à comprendre les caractères de l’art de la première moitié du IVe siècle.

La reprise de la commande publique révèle les nouvelles orientations des équipes de coroplathes. Leur style, postclassique, a assimilé les leçons des grands maîtres, tels Phidias et Polyclète, même si les applications des styles classiques gardent, dans la terre cuite, un caractère modeste. Tel est le Zeus, écho du Zeus de Phidias à Olympie, de l’un des temples de Falerii; tels encore les personnages du fronton de Pyrgi A, reconstruit après le sac des Syracusains en 384, qui paraissent se situer entre Polyclète et Scopas. Attentifs à la valeur du modèle stylistique, les coroplathes sont aussi soucieux d’exprimer le rapport étroit entre la mythologie et les faits religieux qui sont l’expression même de la polis . Ainsi les chevaux ailés du temple de l’Ara della Regina font allusion à un triomphe divin en rapport avec le destin (et peut-être la victoire) de la cité. Ainsi les héros du temple du Belvedère à Volsinii sont également engagés dans un épisode essentiel qui met en cause les fata publica . L’art paraît donc retrouver une fonction dans la polis . À la même époque, la reprise générale de la production artisanale trouve un stimulant dans les tendances originales de la société qui en est le destinataire.

La production des vases à figures rouges, d’abord d’inspiration attique, est relancée à partir de Falerii dans le premier quart du IVe siècle, avec les peintres « de Dies pater », « de Nazzano », de l’Aurore, etc. À côté de cette production de luxe se développent une production plus standardisée de vases à figures rouges et une production de vases recouverts d’un enduit argenté imitant les luxueux services de métal. Ces deux types de vases ont une destination sociale plus large.

Dans le domaine de la sculpture, la production de sarcophages de luxe (des Tetnie à Vulci, des Partunus à Tarquinia, d’un princeps inconnu à Torre San Severo, près de Volsinii-Orvieto) prend un nouvel essor, tandis que les bronzes, notamment les ex-voto dans les sanctuaires, témoignent de la nouvelle affirmation politique de l’Étrurie. Malheureusement, ces pièces n’ont pas été conservées en grand nombre: Arezzo, avec la fameuse Chimère (qui formait vraisemblablement un groupe avec un Bellérophon), a livré l’un des rares grands bronzes étrusques de cette période (400-380).

La renaissance de la peinture funéraire coïncide avec le nouvel élan politique de l’aristocratie. De ce point de vue, la tombe François de Vulci (env. 340) constitue la conclusion, en quelque sorte symbolique, de cette période de luttes et de polémiques intenses avec Rome. Une récente hypothèse permet en effet de restituer le sens politique des fresques. Le sacrifice des prisonniers troyens par Achille (âge héroïque) reflète la victoire des Étrusques (assimilés aux Grecs) sur les Romains (assimilés aux Troyens). Ce sacrifice est en effet mis en parallèle avec une scène de l’histoire étrusque où l’on voit les héros de Vulci, Aulus et Caelius Vibenna, leur fidèle compagnon Macstrna (qu’il faudrait identifier, selon l’empereur Claude, avec le roi romain Servius Tullius) et leurs alliés, qui éliminent Tarquin de Rome et ses alliés. Âge héroïque, histoire et temps présent semblent ainsi se répondre et donner à la scène de divination, où Vel Saties , le propriétaire de la tombe, interroge les oiseaux, toute la profondeur de son sens polémique.

5. La fin de la cité classique: l’hellénisme et la romanisation (de 340 env. jusqu’à Auguste)

La défaite de Tarquinia et de la coalition étrusco-falisque, en 351, eut pour conclusion une trève de quarante ans avec Rome. De ces années de paix émergent quelques traits distinctifs. La politique des cités révèle l’existence de deux attitudes au sein de l’aristocratie. Certains de ses représentants espèrent des avantages (intégration civique, liens de mariage et de clientèle) des rapports à la fois personnels et institutionnalisés qu’ils entretiennent avec Rome. C’est le modèle généralement suivi à Cerveteri. Une autre partie de l’aristocratie reste sur une position défensive et continue à fonder sur l’indépendance et sur la concurrence avec Rome l’espoir de sa conservation et de son développement. À cette dernière position adhèrent les groupes sociaux, dont la promotion est de fraîche date, ainsi que les plèbes urbaines et les classes subalternes, qui espèrent jouir de promotions similaires à la faveur d’une ultérieure ouverture constitutionnelle des cités.

L’étude des inscriptions permet d’entrevoir ce phénomène. Il se traduit en effet par le renforcement des réseaux d’alliances matrimoniales sur tout le territoire de l’Étrurie méridionale. Ces réseaux impliquent des alliances entre les différents niveaux de l’aristocratie comme entre cette dernière et les couches sociales « moyennes » desoppida . Ils s’étendent en outre à l’Étrurie septentrionale, scellant de nouveaux rapports entre le Sud et le Nord.

Ces alliances accélèrent le processus de cooptation politique des homines novi . Le phénomène n’est pas sans rappeler parfois l’évolution de Rome dans la seconde moitié du IVe siècle et le début du IIIe siècle, c’est-à-dire l’abolition des privilèges réservés à la nobilitas d’origine patricienne. En même temps, à un niveau inférieur, l’enrichissement de certains pénestes, qui, s’étonnait Posidonius, possédaient même des maisons spatieuses, est vraisemblablement à situer à cette époque. C’est le début d’une certaine adéquation du statut du péneste à celui du libertus romain; cette mutation sociale, nous échapperait presque entièrement si l’étude des inscriptions de l’Étrurie interne n’avait révélé un phénomène de libération (par acquisition d’un gentilice spécial, formé sur le prénom) des classes subalternes urbaines et agraires remontant au moins au IIIe siècle. Mais les tensions sociales imputables aux pénestes et aux plèbes urbaines suscitent aussi de violentes explosions. Celle d’Arezzo au milieu du IVe siècle est réprimée par un Spurinna (comme l’enseignent les elogia précités) et l’insurrection de la fin du IVe siècle mentionnée par Tive-Live est domptée directement par Rome, selon un schéma d’intervention qui paraît anticiper sur les événements de Volsinii en 264.

La complexité de cette société, à la fois conservatrice et modérément ouverte, permet d’envisager également des nouveautés dans l’organisation des ateliers et la conception même du travail artisanal et artistique. La dignité de l’artisan et sa mobilité d’une cité à l’autre paraissent de nouveau acquises. L’histoire de la migration de certains ateliers falisques à Cerveteri peut en être le témoin. Les artisans commencent aussi à trouver, à l’intérieur de relations de clientèle, une amélioration de leur statut assimilable à une « promotion gentilice ». Les ateliers répondent en tout cas à de nouvelles fonctions. Le développement d’une production beaucoup plus standardisée et spécialisée par secteurs prend modèle sur les cités de Grande-Grèce et sur leur organisation du marché. Tarente, notamment, mais aussi la Campanie grecque et samnite, sorte de « melting-pot » en pleine mutation, exercent une grande attraction sur les Latins, les Romains et les Étrusques. Le monde italiote et la Campanie fournissent aussi aux artisans l’essentiel de leurs modèles et de leur inspiration. C’est le cas des ateliers de céramographes falisques (groupe « de Barbarano », « du Full Sakkos », etc.) et, à la fin du IVe siècle, de la céramique de Genucilia, produite entre Rome et Cerveteri. Les produits standardisés sont destinés d’abord aux couches moyennes de la société. Mais, à côté de cette production, subsiste une production plus luxueuse à Vulci (groupes de Turmuca et d’Alcsti ), à Tarquinia et à Volsinii (groupe de Vanth ). Au nord se développe aussi la production des kylikes (coupes) du groupe « Clusium » et de l’atelier du « peintre d’Hésionè ».

L’importance des modèles de Grande-Grèce, déjà sensible dans les réalisations de la peinture funéraire de la première moitié du IVe siècle et dans la tombe François, laisse supposer l’existence de liens commerciaux avec le sud de l’Italie. Le renforcement de ces derniers est mis en évidence par la circulation de certains objets de bronze reflétant des modèles connus jusqu’en Macédoine (situles, casques, etc.). Mais les liens commerciaux se doublent d’une circulation artisanale plus occulte expliquant la diffusion de certains modèles dans les ateliers locaux. Il en est ainsi de tout le secteur de la sculpture sur pierre: sarcophages sculptés ou peints, comme celui des Amazones, parties sculptées (frontons, frises) de tombes rupestres, à Tarquinia, Vulci et sur leurs territoires (Norchia, Sovana). Sovana a livré les exemples les plus étonnants de ces architectures (tombe Pola, tombe Hildebrand) inspirées par les solutions et les décors d’Apulie. La Grande-Grèce ne transmet pas seulement les modèles de son propre artisanat. Avec Syracuse, elle devient, à partir de la fin du IVe siècle, le principal relais de la culture hellénistique qui fleurit en Macédoine et dans les royaumes d’Asie et d’Égypte conquis par Alexandre.

Dans la mesure cependant où l’art grec, entre 340 et 300, a une histoire complexe, entre l’épuisement des formes classiques et le passage souvent révolutionnaire vers de nouvelles conceptions artistiques (représentées notamment par Apelle en peinture et Lysippe, qui travailla aussi à Tarente, en sculpture), l’art étrusque de cette époque reflète lui aussi des tendances variées. À la complexité des formes grecques transmises s’ajoute en outre, dans les meilleurs cas, la nécessité de faire passer des messages stylistiques et thématiques spécifiques, adaptés à la demande sociale.

Quelques exemples et quelques séries émergent d’une histoire mal connue. Ainsi les figures en terre cuite du temple du Scasato à Falerii paraissent refléter plusieurs modèles grecs, Praxitèle et Scopas en particulier. L’Alexandre Rondanini de Léocharès a certainement inspiré le prétendu « Apollon » de Falerii. Ce caractère éclectique et de transition s’applique souvent aussi à toute la production en bronze d’objets mineurs (cistes, miroirs et étuis de miroirs) qui témoignent de l’empreinte de plusieurs écoles grecques entre l’époque classique et l’époque hellénistique, tout en répondant par leurs sujets et leur esprit aux nécessités de la société locale. Tandis que la peinture, à fresque ou sur vase, continue à approfondir la technique des ombres, déjà employée dans la tombe François, ou présente d’efficaces traductions de groupes hellénistiques, par exemple sur le pilier central de la tombe du Cardinal, à Tarquinia, la tombe Giglioli (des Pinie ), du dernier quart du IVe siècle, assume une valeur particulière dans cette époque de transition. En effet, son fondateur a fait représenter sur les boucliers peints de la fresque centrale encadrant son sarcophage les symboles de la nouvelle émission de monnaie de bronze dont il est vraisemblablement le responsable. Ainsi Tarquinia tente une expérience monétaire déjà réussie à Rome; tentative sans lendemain, puisque la monnaie romaine disposera d’une sorte de monopole de circulation en Étrurie méridionale dès le premier quart du IIIe siècle. Dès lors, la romanisation de l’Étrurie paraît irréversible, mais l’Étrurie lutte encore pour son indépendance.

La reprise des hostilités avec Rome, à partir de 311, comme les campagnes du premier quart du IIIe siècle se justifient par une conjoncture politique favorable: l’engagement de Rome contre les Samnites au sud. L’Étrurie interne et septentrionale joue un rôle actif dans la lutte. De vastes coalitions, comprenant au sud les Samnites, au nord les Gaulois, se constituent parfois. Ainsi, lors de la bataille de Sentinum, en 295, Samnites, Gaulois et Étrusques subissent une lourde défaite. Clusium est la cité la plus touchée par l’événement. Une année après, Rusellae est prise d’assaut. Volsinii se met alors à la tête d’une nouvelle coalition mais, en 283, ses légions, unies à des contingents gaulois, sont écrasées au lac Vadimon. Un nouveau triomphe sur les Étrusques (probablement guidés par Tarquinia) est célébré en 281 et, en 280, un autre triomphe sur Volsinii et Vulci prend place dans les Fastes. En 273, la fidèle Cerveteri se soulève à son tour. Les fouilles récentes ont fait connaître un singulier monument souterrain où apparaît le nom du préteur qui fut vraisemblablement chargé de rétablir l’ordre, C. Genucius Clepsina.

Ces campagnes se soldèrent par des pertes considérables en vies humaines, en argent (lourdes amendes de guerre) et en terres (en général la moitié du territoire était cédée au vainqueur). Sur le territoire de Vulci, Rome installe la colonie de Cosa; sur celui de Cerveteri, les trois colonies de Pyrgi, Alsium et Castrum Novum. Rusellae perd son importance au profit de Vetulonia, plus docile. Toute la côte est ceinturée. À l’intérieur même commence aussi la construction des voies romaines qui relient colonies et préfectures à l’Urbs et modifient tout le système des échanges internes, obligeant à une réorientation de l’économie en fonction de l’économie romaine. En même temps, un certain nombre de foedera (traités) sont signés, plus avantageux, semble-t-il, pour des cités septentrionales comme Volterra, Arezzo et Cortone, les seules qui paraissent conserver un système monétaire autonome, quoique pondéralement aligné sur le système romain.

Au milieu de ces défaites éclate la révolte sociale de Volsinii. Il s’agit d’un soulèvement de la plèbe qui réclame le droit d’intermariage avec l’aristocratie et le droit d’accéder au sénat. Les anciens maîtres sont tués ou chassés par les révoltés. Mais les survivants font appel à Rome qui intervient en 264. Après un siège dramatique, la ville est prise d’assaut, les révoltés massacrés, le fanum Voltumnae , symbole politique de l’Étrurie, pillé de ses milliers de statues en bronze. Ce butin est transporté à Rome par le vainqueur, M. Fulvius Flaccus. On a retrouvé la dédicace qu’il fit à Rome, après la prise de Volsinii, dans les sanctuaires de Fortuna et Mater Matuta au forum Boarium (près de l’église de San Omobono). Quant aux habitants survivants, « ceux qui étaient restés fidèles à leurs maîtres » furent déportés dans un autre lieu, l’actuelle Bolsena, où fut reconstruite une seconde Volsinii.

Le cas de Volsinii, comme celui de Falerii, où éclate un conflit en 241, cache de vastes phénomènes de déstructuration sociale entraînés par la défaite et les spoliations de territoires. Il montre aussi de façon exemplaire quel est désormais le choix de l’aristocratie étrusque.

De cette époque date également le déclin de l’artisanat des cités et son alignement sur les produits et les modèles transmis via Rome. La prise de Volsinii paraît avoir donné un coup à la production d’objets de bronze de qualité. Seule l’Étrurie septentrionale paraît désormais en mesure de produire de grands bronzes. Ceux de Cortone et d’Arezzo reflètent l’art hellénistique ou approfondissent les canons du portrait dit « médio-italique ». La céramique à vernis noir imite de plus en plus la production standard romaine et renonce aux formes toreutiques qui avaient fait son originalité encore dans la première moitié du IIIe siècle. De même, on constate que les thèmes iconographiques retenus pour les sarcophages deviennent banals. Cette époque ne manque cependant pas de nouveautés artistiques, exclusivement destinées à l’aristocratie. La transmission des modèles hellénistiques se poursuit, mais le rôle de l’intermédiaire romain est de plus en plus évident. Dans le domaine architectural, de remarquables voûtes en tonneau couvrent pour la première fois les tombes. Elles copient directement des modèles connus en Macédoine et déjà transmis dans d’autres régions d’Italie, comme l’Apulie et la Campanie. Ce type de tombe connaît une grande fortune en Étrurie septentrionale interne. Dans le premier quart du IIIe siècle, la peinture de Tarquinia livre encore quelques œuvres remarquables comme la tombe Bruschi ou la tombe des Festons, dont les lacunaria (plafond à caissons) représentent l’un des sommets de la peinture impressionniste hellénistique. Dans la seconde moitié du IIIe siècle, les tombes des Anina , « du Convegno », « du Typhon », etc., reflètent à la fois des thèmes locaux de cortèges de magistrats et des motifs d’origine hellénistique plus marquée, comme le « Télamon » peint qui a donné son nom à la tombe « du Typhon ». De même, la tombe des Volumnii à Pérouse présente une synthèse entre tradition aristocratique étrusque et idéologie dynastique d’origine hellénistique.

Mais l’aristocratie se caractérise principalement par un retour conservateur aux valeurs de l’haruspicine et de la disciplina (science religieuse). Ainsi le plus long texte rituel étrusque connu, écrit sur les bandelettes d’une momie égyptienne (conservée au musée de Zagreb), date de cette époque (IIIe-IIe s.). Ces manifestations permettent de saisir le sens de la nouvelle alliance entre l’aristocratie étrusque et la nobilitas romaine. Cette alliance se resserre en 205 au moment de l’effort de guerre romain contre Hannibal (qui au contraire pourra compter sur quelques transfuges et mercenaires du monde subalterne étrusque, comme l’enseigne l’inscription d’un mercenaire de Tarquinia qui servit Hannibal à Capoue).

L’Étrurie connaît au début du IIe siècle d’ultimes secousses sociales: en 196, une révolte servile, et, en 186, le mouvement politico-religieux des Bacchanales. Mais, surtout, après les campagnes de Rome en Grèce et en Asie Mineure, l’alignement de l’Étrurie sur Rome devient l’unique moteur de l’évolution de la société et de l’art étrusques. Le mouvement d’intégration des élites étrusques s’accentue encore après l’organisation de la conquête de l’Italie du Nord, notamment après la fondation des colonies de Lucques et de Luni (177). Au sud également se poursuit le mouvement de romanisation et de construction des voies romaines. La fiction des cités étrusques autonomes ne sera cependant abandonnée qu’avec la lex Julia municipalis de 90 qui concède le droit de cité à tous les Italiques. Cette loi est éminemment favorable à l’aristocratie étrusque. Cependant, le choix en faveur de Marius fait par l’Étrurie des municipes conduit à de nouveaux malheurs, à de nouvelles confiscations de territoires et à des installations de colonies de vétérans. La période des guerres civiles entre Antoine et Octave se soldera en outre par des massacres et des destructions à Pérouse. Auguste fera enfin revivre l’Étrurie des Douze Peuples dans une construction politique originale qui durera jusqu’à Constantin, mais, surtout, l’Empire romain saura s’attacher les notables d’origine étrusque que son administration va promouvoir.

L’art étrusque connaît une dernière floraison au IIe siècle avant J.-C. Les campagnes de Rome en Orient et en Grèce ont pour conséquence l’arrivée d’artisans grecs (orientaux, macédoniens et athéniens). Certains travailleront pour l’aristocratie romaine. D’autres, plus obscurs, se joindront aux équipes de coroplathes qui décorent les temples des colonies romaines, nouvellement fondées. Ils sont à l’origine de l’introduction en Étrurie de modèles hellénistiques nouveaux, inspirés en grande partie par le grand art de Pergame et de Rhodes. Certains de ces artisans s’établissent en Étrurie. Ils y introduisent de flamboyantes et théâtrales images mythologiques qui ornent les monuments funéraires ou les frontons des temples. Célèbres sont dans ce domaine les urnes funéraires en albâtre du « maître de Myrtilos » à Volterra et d’autres ateliers de la même ville ou des villes de Chiusi et Pérouse. Les créations artistiques sont moins fréquentes dans le domaine public, que dans le domaine funéraire. Cependant, Vulci, Arezzo Volterra, Bolsena ont produit des frises architecturales et des frontons qui constituent des exemples intéressants de l’art hellénistique de cette période. Par leurs thèmes et leurs styles, ces monuments constituent des échos directs des modèles urbains et de leurs transpositions dans les colonies ou les territoires assimilables à des colonies (tel celui de Talamonaccio où s’élève un temple orné d’un fronton représentant l’assaut des Sept contre Thèbes). Avec ces monuments s’épuisent les dernières possibilités d’invention d’un art étrusque encore autonome, sinon indépendant, par rapport à l’art romain. L’art proprement étrusque disparaît avec Sylla. L’Étrurie n’est dès lors qu’une province au sein d’un immense empire.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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